Prostitution : la plus vieille stigmatisation du monde ?

Les travailleur.euse.s du sexe sont les victimes quotidiennes de la stigmatisation. Entre idées reçues et réalités méconnues, iels voient leur activité sans cesse dénigrée.


Le 28 septembre 2020, dans le cadre de la lutte contre la covid-19, le bourgmestre de Bruxelles, Philippe Close, interdisait l’exercice de la prostitution dans l’ensemble de la capitale. Un coup dur pour les travailleur.euse.s du sexe (TDS) mais également pour les associations présentes sur le terrain. En réaction à cette décision, Médecins du Monde publiait le jour même un article dénonçant la stigmatisation des personnes vivant du travail du sexe et pointant les risques pour elleux tant au niveau financier qu’au niveau santé.

En 2019, Espace P… a suivi 1076 TDS reparti.e.s sur sept antennes différentes en Communauté française.
En 2019, Espace P a suivi 1076 TDS reparti.e.s sur sept antennes différentes en Communauté française.
Photo : Julica da Costa CC BY-SA 2.5, via Wikimedia Commons

La crise Covid-19, et surtout les mesures de confinement, ont eu un impact considérable sur ce secteur de travail particulier : prostitution interdite, augmentation de la clandestinité, stigmatisation renforcée, difficulté voire impossibilité de vivre correctement… Les conséquences sont multiples. « Lors de la 1ère crise Covid, celles qui avaient un peu d’argent de côté ont puisé dans leurs réserves, mais maintenant, c’est vraiment la catastrophe car celles qui en avaient au départ n’en n’ont plus. Beaucoup vont reprendre clandestinement des clients. Il en suffit de quelques-uns pour au moins continuer à payer un loyer et manger« , explique Cécile Cheront, coordinatrice générale d’Espace P, asbl qui travaille dans le domaine de la promotion de la santé et de l’accompagnement social en faveur des TDS. Cependant, avoir des clients clandestins augmente le risque de violence, d’exploitation, de non-respect des gestes barrières… C’est aussi un facteur de stress important car les amendes sont élevées si iels sont découvert.e.s. Espace P a mis à disposition des TDS du matériel de protection (masques, gants, gel hydroalcoolique…) ainsi que des aides alimentaires. « On les a vraiment fort soutenu.e.s, comme tous les professionnels devraient l’être.« 

Le collectif Utsopi (collectif de TDS en Belgique) a quant à lui lancé un crowdfunding pour pouvoir répondre aux demandes d’aides financières reçues par l’asbl et leurs partenaires. « Nous ne pouvons pour le moment plus aider les travailleur.euses du sexe, qui sont dans des situations de plus en plus dramatiques », indique une publication Facebook de l’association.

La stigmatisation, violence silencieuse

Pandémie ou pas, les TDS ne sont jamais considéré.e.s comme les autres professionnels. Leur activité est sans cesse stigmatisée. Cela peut se refléter par des attitudes de victimisation ou à l’inverse, de banalisation de leur travail mais aussi par des clichés : un.e prostitué.e est forcément un mauvais parent, un.e toxicomane ou a des problèmes psychologiques. Le problème principal reste cependant la généralisation des vécus. Cécile Cheront insiste sur le fait qu’il faut savoir écouter l’histoire de chacun.e.s et laisser les personnes concernées s’exprimer sans nier leur expérience.

« La stigmatisation est vécue comme une violence par tous.tes les prostitué.e.s. »

Cécile Cheront


La mise à l’écart peut avoir des conséquences sur l’état mental des prostitué.e.s. On peut observer une augmentation de l’isolement mais surtout du stress. Le stress d’être jugé.e, d’être victime d’abus, d’être violenté.e, d’être découvertes par leur entourage pour certaines… Tout cela est difficile à porter et est très spécifique à cette activité.
Il est tout de même important de rappeler que le travail du sexe en lui-même n’a pas d’incidence sur la santé mentale.
« La stigmatisation est vécue comme une violence par tous.tes les prostitué.e.s, explique Cécile Cheront. Prétendre savoir mieux qu’iels ce qu’il faut penser de leur vie et de leurs motivations est extrêmement violent.« .

Dans une vidéo réalisée par le média français Brut., Valeria, TDS au Bois de Boulogne, déclare que les violences subies par les prostitué.es diminueraient drastiquement si iels recevaient des aides et surtout de la considération de la part du gouvernement français

La stigmatisation administrative est aussi un problème car l’activité prostitutionnelle n’est pas reconnue par la réglementation du travail. Dès lors, iels doivent ou bien mentir sur leur profession ou bien continuer sans aucune déclaration, et donc dans la clandestinité.

Depuis la nuit des temps

Dans un document de l’ICRSE¹ traitant de l’accès à la santé pour les TDS, on apprend qu’ « Au Moyen-Âge, les prostituées étaient considérées comme des créatures diaboliques et étaient rejetées par l’Eglise. Les médecins de l’époque leur attribuaient un tempérament violent (…). A la fin du 19e siècle, un criminologue italien, Cesare Lombroso, pensait que les femmes de la classe ouvrière souffraient d’une dégénérescence mentale, ce qui conduisait la plupart d’entre elles à devenir prostituées. A la même époque en France, Pauline Tarnowski, docteure en médecine, mesurait le crâne de TDS avec des objectifs similaires. » Ces théories préconisant que les TDS font ce métier car iels ont des problèmes mentaux sont toujours à l’ordre du jour et répandues dans la société. Cécile Cheront explique que les troubles mentaux sont partout et que c’est injuste de penser que les prostitué.e.s, plus que d’autres personnes, en sont atteint.e.s. L’arrivée dans le travail du sexe peut être liée à beaucoup de choses et pas spécialement à des problèmes psychologiques.

Risques de santé spécifiques

Les TDS sont plus exposé.e.s à certains risques de santé : risque de contracter une IST (infection sexuellement transmissible), risque de tomber enceinte, risque accru de subir des violences. Iels ont plus de risque de connaître une dépression à cause de l’isolement, du stress, de l’insécurité… La prostitution peut donc être considérée comme un métier à risques, même si certaines pratiques peuvent réduire cette insécurité : travailler de jour, travailler en groupe, travailler avec une personne qui assure la sécurité…
Une des revendications de l’asbl Espace P est que les TDS aient un accès effectif à une aide sociale et psychologique appropriée, à l’information en matière de santé et de droits, à un service de santé préventif, anonyme, gratuit, adapté à leurs besoins, dans le respect du secret médical et sur base volontaire et que les consultations médicales ne servent en aucun cas d’outil de contrôle sanitaire et sécuritaire.
Récemment, Alias, asbl travaillant avec des TDS masculins et transgenres, a publié les résultats d’une enquête concernant les étudiant.e.s TDS de ces catégories. Cette enquête a révélé que 83,8% de ces dernier.ère.s ne parlaient pas de leur activité prostitutionnelle à leur médecin et ne peuvent donc pas recevoir les soins adéquats et spécifiques à leur activité.

« La prostitution est plus souvent perçue par les TDS comme étant une solution plutôt qu’un problème« , rappelle Cécile Cheront. On peut alors espérer une ouverture d’esprit de l’opinion publique quant à ce travail spécifique qu’est celui du sexe.

¹International Committee on the Rights of Sex Workers in Europe (Comité international des droits des travailleur.euse.s du sexe en Europe)


Pour en savoir plus :

Espace P, asbl qui travaille dans le domaine de la promotion de la santé et de l’accompagnement social en faveur des personnes travailleur.euse.s du sexe.
Utsopi, Union des Travailleur.se.s du Sexe Organisé.e.s pour l’Indépendance, collectif de travailleuses et travailleurs du sexe en Belgique, autogéré et auto-organisé.
ICRSE, International Committee on the Rights of Sex Workers in Europe (Comité international des droits des travailleur.euse.s du sexe en Europe), réseau de travailleur.euse.s du sexe représentant 109 organisations par et/ou pour les TDS.
Alias, service psycho-médico-social et de promotion de la santé à destination des TDS masculins et transgenres en région bruxelloise.









Rédaction par Lucie Baraduc, étudiante en 1ère année de communication à l’ISFSC depuis septembre 202
0. Engagée et dynamique, j’ai choisi ces études pour partager mes idées, que ce soit grâce à des articles ou à des créations graphiques.