Les prix des médicaments sont de plus en plus élevés : est-ce grave, Docteur ?
Les prix des médicaments en Belgique sont trop élevés et cette tendance ne fait que se confirmer. Ces prix sont-ils vraiment justifiés ? Devons-nous nous inquiéter de savoir si nos médicaments pourront encore être remboursés ? C’est ce que nous avons cherché à savoir.
Chacun le constate, les prix des médicaments en Belgique sont trop chers et même de plus en plus chers, notamment par rapport à nos voisins, au point que certains Belges n’hésitent pas à aller les acheter en France ou aux Pays-Bas.
Pour de nombreux experts, les conséquences à terme sont très inquiétantes. Pour Mme Julie Frère, porte-parole francophone de Test-Achats, magazine de défense des droits des consommateurs que nous avons rencontrée, ce prix trop élevé des médicaments risque de poser à terme un grave problème de santé publique. En raison des coûts de plus en plus élevés des médicaments, le budget de l’assurance maladie est en train d’exploser et on devra peut-être refuser de rembourser certains médicaments ou n’autoriser leur remboursement que pour certaines catégories de personnes comme les malades les plus atteints. D’après Mme Martine Van Hecke, experte Santé à Test-Achats, c’est déjà le cas, par exemple, pour le Sovaldi, un médicament très efficace contre l’Hépatite C.
Mais au fait : qui fixe les prix ?
Mme Van Hecke nous rappelle quant à elle que « c’est le SPF Economie qui détermine le prix des médicaments, et il consulte pour cela une commission « prix-médicaments » où sont présents différents partenaires ». La fixation des prix se fait donc par une négociation entre les firmes pharmaceutiques, l’INAMI (l’Institut National d’Assurance Maladie-Invalidité, qui se charge du remboursement des soins de santé) et l’Etat. L’Etat intervient donc bel et bien dans la négociation, et c’est même le ministre qui a le dernier mot sur le prix final, mais d’après Mme Van Hecke, « L’Etat n’a pas assez de données pour décider si le prix est juste ou non », notamment en raison du manque de transparence des sociétés pharmaceutiques.
En effet, les sociétés pharmaceutiques utilisent toujours l’argument du coût de la recherche pour justifier le prix élevé des médicaments, mais il est très difficile de vérifier leurs informations car elles refusent de donner les détails sur leurs procédures de Recherche et Développement (R&D). Elles essaient évidemment toujours d’obtenir le prix de vente le plus élevé possible pour leurs nouveaux médicaments mis sur le marché, et ces derniers temps ces prix ont atteint des sommes ahurissantes, en particulier pour les médicaments contre le cancer ou contre les maladies orphelines. On se souvient de la petite Pia, atteinte d’amyotrophie spinale, une maladie héréditaire mortelle dont le traitement fourni par un laboratoire américain coûtait 1,9 million d’euros.
Une course folle au profit
Test-Achats dénonce cette course au profit extrême menée par les sociétés pharmaceutiques, dont une autre pratique pose question : il s’agit du procédé par lequel une firme pharmaceutique rachète un ancien médicament qui a fait ses preuves et qui est vendu à très bas prix, puis le relance sur le marché en l’ayant à peine modifié, mais en demandant un prix exorbitant. Comme le souligne la journaliste Anne Liesse dans une note parue sur le site de l’Institut Emile Vandervelde, cette pratique conduit à un rapport de force asymétrique entre les autorités et les firmes pharmaceutiques et influence considérablement la fixation du prix des médicaments. Liesse donne également l’exemple d’une firme italienne qui « a abusé de son monopole sans aucun scrupule en multipliant par plus de 300 fois le prix d’un médicament traitant une maladie génétique rare mortelle, passant de 38 euros à 12.750 euros. » Test-Achats a d’ailleurs déjà déposé cinq plaintes auprès de l’autorité belge de la concurrence contre ce genre de pratiques permises par le monopole des firmes pharmaceutiques sur certains médicaments.
Une autre pratique de cette industrie pose question : certaines firmes pharmaceutiques bénéficient de soutiens financiers publics pour la Recherche et le Développement des aides, qui peuvent se chiffrer en millions d’euros. Anne Liesse explique ainsi que « ces recherches fondamentales qui aboutissent à la découverte de nouveaux médicaments sont financées en grande partie par les contribuables. Pourtant, ces fonds publics, investis dans une recherche visant à produire un bien collectif (de nouvelles connaissances), se retrouvent privatisés lors de la phase de développement des médicaments. Le contribuable paie donc doublement : d’abord, pour financer une grande partie de la recherche qui participe au développement des médicaments (via l’impôt), ensuite en payant des prix exorbitants lorsque ces nouveaux médicaments sont mis sur le marché (via les cotisations sociales et en tickets modérateurs). »
Enfin, les experts dénoncent le manque de transparence dans la négociation entre l’Etat et les firmes pharmaceutiques, qui empêche un véritable contrôle démocratique sur ces pratiques. Ici est notamment pointé le rôle des lobbys pharmaceutiques qui sont extrêmement influents en Belgique…
Que peut-on faire ?
Des solutions existent pourtant. C’est d’abord au niveau européen que les Etats devraient s’allier pour négocier un prix « normal » avec les firmes pharmaceutiques, car celles-ci n’hésitent pas à jouer un Etat contre l’autre dans un secteur pourvoyeur d’emplois hautement qualifiés.
La deuxième priorité serait de mettre fin aux négociations secrètes entre les Etats et les firmes pharmaceutiques afin de permettre aux citoyens d’exercer un véritable contrôle démocratique sur l’ensemble des systèmes. Plus de transparence de la part des sociétés pharmaceutiques sur les véritables coûts de la Recherche serait nécessaire.
Par ailleurs, l’Autorité de la Concurrence doit beaucoup plus jouer son rôle, notamment au niveau européen, pour mettre fin aux abus des situations de monopole.
Une autre solution proposée par les experts serait que les investissements et les aides des Etats dans la Recherche et le Développement soient conditionnés à la fin du processus par une commercialisation du produit à un prix raisonnable, c’est-à-dire abordable pour les assurances maladie.
À plus long terme, il faudra peut-être revoir le modèle de développement du secteur avec une meilleure coordination public-privé, avec plus d’investissements des services publics, et une recherche de nouveaux médicaments fondés sur les besoins réels de la société et des citoyens.
Pouvons-nous être optimistes quant à la résolution de ce problème de plus en plus aigu ? Pas vraiment. L’experte Santé de Test-Achats se dit même franchement pessimiste à court terme tant les intérêts financiers sont élevés : « Le problème est à l’agenda politique, des propositions de lois sont en préparation, notamment sur le contrôle démocratique de l’ensemble du processus, mais pour le moment, il n’y a rien de vraiment concret. » Mais cela n’empêche pas que des actions de sensibilisation soient menées, telle cette campagne lancée par Test-Achats en partenariat avec Médecins du Monde, qui a récolté plus de 9.000 signatures en Belgique et plus de 250.000 en France.
C’est le signe que le citoyen est conscient du danger et est prêt à se mobiliser pour éviter un jour de se retrouver dans une situation où certains médicaments seraient réservés à une élite financière, tandis qu’ils resteraient inaccessibles pour le commun des mortels…
– Pour apprendre que les médicaments innovants sont de plus en plus chers et pour avoir des données précises à ce sujet-là : https://www.lecho.be/economie-politique/belgique-general/Les-medicaments-innovants-toujours-plus-chers/10077538
– Pour savoir si les nouveaux médicaments, beaucoup plus coûteux, sont réellement plus efficaces : https://www.test-achats.be/sante/maladies-et-medicaments/medicaments/dossier/medicaments-trop-chers/nouveau-pas-mieux
– Pour mieux comprendre comment et pourquoi nous payons nos médicaments deux fois : https://www.test-achats.be/sante/maladies-et-medicaments/medicaments/dossier/medicaments-trop-chers/nous-payons-medicaments-deux-fois
Mathias Pezza, 20 ans, étudiant en première année de communication à l’ISFSC.